Les nations du monde se réunissent à Copenhague du 7 au 18 décembre 2009 pour une conférence sur le climat qui est annoncée comme celle de la dernière chance. Ça passe ou ça casse, marche ou crève ou peut-être, littéralement, nage ou coule. De fait, on peut avancer sans se tromper qu’il s’agit de la réunion diplomatique la plus importante de l’histoire du monde. Versailles, d’accord, Yalta, oui, oui – mais leur échec ne s’est mesuré qu’en décennies de souffrance et en millions de vies. Si on ne parvient pas à limiter le changement climatique, les conséquences s’étendront sur des dizaines de milliers d’années et toucheront des générations qu’on n’imagine même pas encore.

Ce qui ne veut pas dire que ces douze jours de négociations seront empreints de noblesse, faciles à suivre, ou même cohérents. Je me souviens des derniers grands pourparlers de ce type, à Kyoto, en 1997. Ils s’étaient déroulés, comme ce sera le cas à Copenhague, dans un centre de conférences situé à des kilomètres de la ville. Le lieu était devenu un monde à part où journalistes, délégués, lobbyistes de l’industrie pétrolière et représentants d’ONG se demandaient sans cesse les uns aux autres ce qui se passait. La réponse était toujours la même : on attend que les Etats-Unis et les Européens concluent un accord. Les pourparlers officiels avaient lieu dans une grande salle, mais les choses sérieuses se passaient derrière des portes closes.

La conférence semblait vouée à l’échec jusqu’à ce qu’Al Gore intervienne et demande aux négociateurs américains de “faire preuve de flexibilité”. Ce fut la touche suffisante pour parvenir laborieusement à une conclusion – l’ultime délai de minuit passa, et le lendemain nous étions tous chassés de la salle pour laisser la place à un séminaire de biologie moléculaire. Personne n’avait assez d’énergie pour faire autre chose qu’applaudir faiblement le document final, que le Sénat américain ne songea ensuite même pas à ratifier. Cette fois, la délégation américaine sera dirigée par un politicien de carrière, Todd Stern. Et peut-être par Hillary Clinton. Et peut-être même par Barack Obama. Et cette fois, ce n’est cependant pas la division Etats-Unis - Europe qui sera le plus grand défi, loin de là. Cette fois, le monde en développement a ses propres exigences et il sera donc beaucoup plus difficile de parvenir à un accord à Copenhague que ça n’avait été le cas à Kyoto. Car le monde en développement aimerait… se développer ! Et le moyen le plus évident pour lui d’y parvenir, c’est de brûler du charbon. Et il a un argument moral imparable : vous êtes devenus riches en brûlant du charbon, pourquoi ne pourrions-nous pas en faire autant ?

Vous imaginez le jeu d’échecs à plusieurs niveaux qui s’ensuit : tout le monde est sous la pression de quelqu’un d’autre et il faudra attendre les derniers jours, et plus probablement l’année 2010, avant que les négociateurs trouvent un terrain d’entente. A savoir, peut-être, un traité qui nous emmènerait dans la direction dont la plupart des gens parlent depuis cinq ans : maintenir l’augmentation des températures sous la barre des 2 °C et la concentration de gaz carbonique dans l’atmosphère à 450 ppm [parties par million]. Sauf qu’il y a deux facteurs – la physique et la chimie – qui sèment une belle pagaille dans cette affaire. Tout a commencé en 2007, quand l’Arctique s’est mis à fondre à une vitesse soudaine et inattendue, avec trente ans d’avance sur les prévisions scientifiques les plus pessimistes – tout ça après une augmentation de la température mondiale de 0,8 °C, soit un peu moins de la moitié des 2 °C vers lesquels on semble, au mieux, s’orienter à Copenhague. Quand les négociations d’après Kyoto avaient commencé voilà cinq ou six ans, on ne pensait pas que 1 °C suffirait à causer de vrais dégâts, mais on sait aujourd’hui que ce n’est pas le cas.

Quelques mois après la fonte brutale des glaces, en 2007, nos climatologues les plus éminents nous ont donné un nouvel objectif : 350 ppm. James Hansen, de la NASA, et son équipe ont publié une série d’articles montrant que toute concentration de dioxyde de carbone dans l’atmosphère supérieure à ce chiffre ne semblait pas compatible avec “une planète similaire à celle où la civilisation s’est développée et à laquelle la vie sur Terre est adaptée”.
Ça prendra du temps – la banquise de l’Antarctique fait des kilomètres d’épaisseur –, mais les choses changent déjà. Les cas de dengue, une maladie infectieuse transmise par des moustiques qui étendent rapidement leur rayon d’action dans notre monde en réchauffement, se sont multipliés par 30 au cours des cinquante dernières années (selon un récent rapport, aux Etats-Unis elle pourrait toucher plus de la moitié des Etats). Les glaciers fondent sous nos yeux. La sécheresse devient endémique dans le sud-ouest des Etats-Unis et dans certaines parties de l’Australie. Pendant ce temps, comme toute l’eau qui s’évapore doit finir par retomber, les déluges empirent (comme ces pluies record qui ont chassé 1 million de personnes de chez elles en Inde en 2006). Voilà le genre de problèmes qu’on a déjà avec les 387 ppm d’aujourd’hui. Vous tenez vraiment à viser les 450 ?

Notons que parvenir à fixer une concentration de 350 ppm n’est pas impossible. Hansen et son équipe ont montré que, dans ce cadre, nous pourrions brûler la plus grande partie du pétrole qui est encore dans les puits (mais pas les sables bitumineux, désolé pour le Canada) ; si nous arrêtions de brûler du charbon d’ici à 2030, et plus tôt dans le monde développé, les forêts et les océans finiraient par assimiler suffisamment de gaz carbonique pour nous ramener à un niveau de sécurité. Il y aurait certes des dégâts – on n’a pas de méthode pour regeler l’Arctique –, mais on échapperait à la catastrophe. Il faudrait pour cela que toute la planète s’emploie pendant une génération à sortir des énergies fossiles. Il faudrait payer un prix politique énorme. Il faudrait viser une solution, pas un accord.